Devant nous se succèdent les images d’une après-midi d’hiver, dans une forêt enneigée. Elles sont d’emblée singulières : leur cadence est variable est incertaine, elles reviennent et se répètent dans une même séquence. La bande son, qui mêle extraits de conversation, musique, sons de la nature et bruits du quotidien semble désynchronisée des images. Elles sont extraites du journal intime du réalisateur Jonas Mekas. Leur caractère singulier tient aux moyens techniques dont il dispose et aux choix radicaux qu’il fait, liés à la fois à son statut d’autodidacte, mais aussi à une esthétique choisie qui caractérise tout son cinéma : tout ce que nous voyons apparaître sur l’écran est du tourné-monté, Il utilise une vieille caméra Bollex, qu’il doit régulièrement rembobiner à la main, change la durée d’exposition des images dans un mélange qui évoque autant la photographie que le cinéma. Davantage que le récit ordonné d’une après-midi entre amis nous en parviennent des fragments dispersés, qui forment un puzzle d’émotions et de sensations, au cœur duquel s’enchevêtrent les fils ténus de micro évènements : deux fillettes rentrent à la maison, le chien Roscoe vole la nourriture des oiseaux, une jeune femme déneige le toit, on monte l’âne…Les intertitres qui apparaissent donnent au spectateur autant d’éléments d’informations, qui éclairent la vie intime du réalisateur, alors en visite chez des amis. Jonas Mekas apparaît lui-même en fin d’extrait, juché sur l’âne, affirmant sa place de cinéaste subjectif. Au moment où il vit, ressent, et filme ces moments, il se souvient, pour plus tard, au rythme de la caméra qu’il rembobine. Il donne alors à ces moments saisis dans leur fugacité une portée universelle. Ces images nous semblent familières : bercés et transportés par leur rythme singulier, nous nous attardons sur le rouge des vêtements des fillettes, l’œil d’un âne gris dont la paupière cligne en gros plan, le bruit singulier des pas dans la neige et des pelletées qui tombe du toit , la lumière crue et violente qui traverse soudain l’image : « soudain, ils semblait que ce fût le printemps » et il nous semble alors sentir le toucher lourd de la glace qui fond, la chaleur de l’animal que l’on caresse. La singularité de ce miracle tient à la magie de ce cinéma intime et « bricolé » , énoncé à la première personne : à travers ces sensations subjectives qui passent directement par le corps du cinéaste, immédiatement cristallisées dans un passé en train de se fabriquer et qu’il nous adresse, leur donnant instantanément le goût des paradis perdus .
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Devant nous se succèdent les images d’une après-midi d’hiver, dans une forêt enneigée. Elles sont d’emblée singulières : leur cadence est variable est incertaine, elles reviennent et se répètent dans une même séquence. La bande son, qui mêle extraits de conversation, musique, sons de la nature et bruits du quotidien semble désynchronisée des images. Elles sont extraites du journal intime du réalisateur Jonas Mekas. Leur caractère singulier tient aux moyens techniques dont il dispose et aux choix radicaux qu’il fait, liés à la fois à son statut d’autodidacte, mais aussi à une esthétique choisie qui caractérise tout son cinéma : tout ce que nous voyons apparaître sur l’écran est du tourné-monté, Il utilise une vieille caméra Bollex, qu’il doit régulièrement rembobiner à la main, change la durée d’exposition des images dans un mélange qui évoque autant la photographie que le cinéma. Davantage que le récit ordonné d’une après-midi entre amis nous en parviennent des fragments dispersés, qui forment un puzzle d’émotions et de sensations, au cœur duquel s’enchevêtrent les fils ténus de micro évènements : deux fillettes rentrent à la maison, le chien Roscoe vole la nourriture des oiseaux, une jeune femme déneige le toit, on monte l’âne…Les intertitres qui apparaissent donnent au spectateur autant d’éléments d’informations, qui éclairent la vie intime du réalisateur, alors en visite chez des amis. Jonas Mekas apparaît lui-même en fin d’extrait, juché sur l’âne, affirmant sa place de cinéaste subjectif. Au moment où il vit, ressent, et filme ces moments, il se souvient, pour plus tard, au rythme de la caméra qu’il rembobine. Il donne alors à ces moments saisis dans leur fugacité une portée universelle. Ces images nous semblent familières : bercés et transportés par leur rythme singulier, nous nous attardons sur le rouge des vêtements des fillettes, l’œil d’un âne gris dont la paupière cligne en gros plan, le bruit singulier des pas dans la neige et des pelletées qui tombe du toit , la lumière crue et violente qui traverse soudain l’image : « soudain, ils semblait que ce fût le printemps » et il nous semble alors sentir le toucher lourd de la glace qui fond, la chaleur de l’animal que l’on caresse. La singularité de ce miracle tient à la magie de ce cinéma intime et « bricolé » , énoncé à la première personne : à travers ces sensations subjectives qui passent directement par le corps du cinéaste, immédiatement cristallisées dans un passé en train de se fabriquer et qu’il nous adresse, leur donnant instantanément le goût des paradis perdus .