Le premier plan de cette scène est un plan-séquence où Bresson joue avec virtuosité de ce qu'il nous montre et ce qu'il nous cache dans le même plan. Le plan commence par l'entrée dans la gare du personnage principal, mais au lieu de le suivre, Bresson le laisse sortir du champ pour suivre avec sa caméra un couple qui était derrière lui et qui n'a aucun rôle dans cette scène. Ce couple croise alors une femme en tailleur, avec une valise dans chaque main et son sac à main sous le bras. La caméra suit alors cette femme jusque devant le guichet où elle s'immobilise. À partir d'un plan serré sur sa valise Bresson remonte sa caméra pour nous montrer le pickpocket qui vient se coller à elle. Il nous l'avait caché depuis le début du premier plan, ainsi que son itinéraire, par le jeu d'une caméra baladeuse et comme distraite qui suivrait le premier passant venu, même étranger à la fiction. Au lieu de nous montrer le personnage principal du film, qui est l'enjeu réel de la scène, Bresson nous montre des anonymes qui ne sont là que pour cacher le déplacement du pickpocket qui surgit par surprise alors que nous l'avions perdu de vue. Pour filmer le vol du sac de la femme en tailleur, Bresson fait le choix, radical, de ne pas filmer les personnages, leurs visages, mais uniquement la circulation de main en main du sac volé. On ne peut pas reconnaître à qui appartiennent les mains que l'on voit au travail car l'important pour Bresson est de montrer le mécanisme bien huilé de la technique des pickpockets, le rythme parfait et synchrone de leurs actions, pas leur identité. Une des théories de Bresson était que les mains agissent souvent de façon indépendante du cerveau et de la volonté, qu'elles sont dotées d'un grande autonomie, surtout quand il s'agit comme ici d'actions cent fois répétées. Le vol suivant, celui des billets qui dépassent du portefeuille est filmé en un seul plan-séquence très virtuose où Bresson joue avec la taille des recadrages : on part du personnage du « volé » en pied, bien visible, mais le cadrage se resserre sur sa main et son portefeuille jusqu'à ce qu'une autre main, anonyme, vienne voler les billets et les passer à d'autres mains tout aussi anonymes avant qu'un élargissement du cadre nous permette de voir que ce dernier homme de la chaîne du vol n'est autre que le personnage principal du film. Pour le troisième vol, celui de l'homme au chapeau, Bresson fait un choix différent : il nous montre cette fois dans le même cadre serré les visages de l'homme volé et de ses trois voleurs, mais le travail des mains est beaucoup plus elliptique, montré en plans très courts. En effet, ce qui se joue là, cette fois, ne relève pas de la virtuosité technique mais de la rapidité de décision entre les trois complices lorsqu'ils risquent de se faire prendre : déposer le portefeuille volé dans la poche d'un autre voyageur au cas où le volé aurait compris ce qui vient de lui arriver.
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Le premier plan de cette scène est un plan-séquence où Bresson joue avec virtuosité de ce qu'il nous montre et ce qu'il nous cache dans le même plan. Le plan commence par l'entrée dans la gare du personnage principal, mais au lieu de le suivre, Bresson le laisse sortir du champ pour suivre avec sa caméra un couple qui était derrière lui et qui n'a aucun rôle dans cette scène. Ce couple croise alors une femme en tailleur, avec une valise dans chaque main et son sac à main sous le bras. La caméra suit alors cette femme jusque devant le guichet où elle s'immobilise. À partir d'un plan serré sur sa valise Bresson remonte sa caméra pour nous montrer le pickpocket qui vient se coller à elle. Il nous l'avait caché depuis le début du premier plan, ainsi que son itinéraire, par le jeu d'une caméra baladeuse et comme distraite qui suivrait le premier passant venu, même étranger à la fiction. Au lieu de nous montrer le personnage principal du film, qui est l'enjeu réel de la scène, Bresson nous montre des anonymes qui ne sont là que pour cacher le déplacement du pickpocket qui surgit par surprise alors que nous l'avions perdu de vue.
Pour filmer le vol du sac de la femme en tailleur, Bresson fait le choix, radical, de ne pas filmer les personnages, leurs visages, mais uniquement la circulation de main en main du sac volé. On ne peut pas reconnaître à qui appartiennent les mains que l'on voit au travail car l'important pour Bresson est de montrer le mécanisme bien huilé de la technique des pickpockets, le rythme parfait et synchrone de leurs actions, pas leur identité. Une des théories de Bresson était que les mains agissent souvent de façon indépendante du cerveau et de la volonté, qu'elles sont dotées d'un grande autonomie, surtout quand il s'agit comme ici d'actions cent fois répétées.
Le vol suivant, celui des billets qui dépassent du portefeuille est filmé en un seul plan-séquence très virtuose où Bresson joue avec la taille des recadrages : on part du personnage du « volé » en pied, bien visible, mais le cadrage se resserre sur sa main et son portefeuille jusqu'à ce qu'une autre main, anonyme, vienne voler les billets et les passer à d'autres mains tout aussi anonymes avant qu'un élargissement du cadre nous permette de voir que ce dernier homme de la chaîne du vol n'est autre que le personnage principal du film.
Pour le troisième vol, celui de l'homme au chapeau, Bresson fait un choix différent : il nous montre cette fois dans le même cadre serré les visages de l'homme volé et de ses trois voleurs, mais le travail des mains est beaucoup plus elliptique, montré en plans très courts. En effet, ce qui se joue là, cette fois, ne relève pas de la virtuosité technique mais de la rapidité de décision entre les trois complices lorsqu'ils risquent de se faire prendre : déposer le portefeuille volé dans la poche d'un autre voyageur au cas où le volé aurait compris ce qui vient de lui arriver.