Le principe du micro-trottoir est un dispositif de reporter. Jean Rouch le détourne : l’intervieweur est Damouré, personnage principal du film, confronté à des passants ignorant qu’il s’agit en réalité d’une fiction et non d’un reportage télévisé. L’acteur se livre ici à une fausse enquête d’anthropologie sauvage, aux méthodes incongrues (prendre les mesures des Parisiens dans la rue). Inversant ici le rapport entre les blancs, « inventeurs » de l’anthropologie et les « indigènes » (objet d’étude privilégié des anthropologues), il cherche, en déstabilisant ses interlocuteurs, à mettre en évidence la persistance d’inconscients réflexes colonialistes, voire d’un racisme latent. La séquence est d’ailleurs tournée à proximité de l’esplanade du Trocadéro, où se situait le 1er musée d’ethnographie, né au XIXe siècle, à l’apogée de l’époque coloniale… Un tel dispositif exige une grande réactivité, en une seule prise il faut « attraper » ce qui ne pourra jamais être rejoué : la surprise, l’incrédulité, voire l’incompréhension ou le soupçon qui se lisent sur les visages des passants interrogés : le cadreur, caméra à l’épaule, doit en capter la moindre expression, tout en veillant à garder Damouré dans le champ ; On voit aussi ici comment l’irruption d’une caméra modifie les comportements : en profondeur de champ, les badauds dont la curiosité est piquée par cet insolite manège, s’arrêtent pour les observer. Le réalisateur, à travers ce dispositif complexe mêlant le vrai et le faux, le réel et la fiction, met en doute la capacité à capturer une réalité totalement objective ; il provoque même chez l’un des passants une réaction inquiète, un doute presque vertigineux : « Pourquoi vous faites ça ? » demande l’un d’entre eux. Rétrospectivement, ces images offrent également au spectateur d’aujourd’hui un regard sur le Paris des années 1960.
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Le principe du micro-trottoir est un dispositif de reporter. Jean Rouch le détourne : l’intervieweur est Damouré, personnage principal du film, confronté à des passants ignorant qu’il s’agit en réalité d’une fiction et non d’un reportage télévisé. L’acteur se livre ici à une fausse enquête d’anthropologie sauvage, aux méthodes incongrues (prendre les mesures des Parisiens dans la rue). Inversant ici le rapport entre les blancs, « inventeurs » de l’anthropologie et les « indigènes » (objet d’étude privilégié des anthropologues), il cherche, en déstabilisant ses interlocuteurs, à mettre en évidence la persistance d’inconscients réflexes colonialistes, voire d’un racisme latent. La séquence est d’ailleurs tournée à proximité de l’esplanade du Trocadéro, où se situait le 1er musée d’ethnographie, né au XIXe siècle, à l’apogée de l’époque coloniale… Un tel dispositif exige une grande réactivité, en une seule prise il faut « attraper » ce qui ne pourra jamais être rejoué : la surprise, l’incrédulité, voire l’incompréhension ou le soupçon qui se lisent sur les visages des passants interrogés : le cadreur, caméra à l’épaule, doit en capter la moindre expression, tout en veillant à garder Damouré dans le champ ; On voit aussi ici comment l’irruption d’une caméra modifie les comportements : en profondeur de champ, les badauds dont la curiosité est piquée par cet insolite manège, s’arrêtent pour les observer. Le réalisateur, à travers ce dispositif complexe mêlant le vrai et le faux, le réel et la fiction, met en doute la capacité à capturer une réalité totalement objective ; il provoque même chez l’un des passants une réaction inquiète, un doute presque vertigineux : « Pourquoi vous faites ça ? » demande l’un d’entre eux. Rétrospectivement, ces images offrent également au spectateur d’aujourd’hui un regard sur le Paris des années 1960.