Mouchette

Robert Bresson, France, 1966

Commentaire

Mouchette, comme Edmund dans Allemagne année zéro (Roberto Rossellini), n’a pas droit à vivre l’enfance qu’elle est en âge de vivre. Coincée entre un père alcoolique et brutal, une mère malade, les soins maternels qu’elle doit donner à son petit frère qui est encore un bébé, et le travail de plonge au bar du village les jours où il n’y a pas école, elle est rejetée par les élèves de sa classe et par la communauté villageoise. Ce matin-là, où sa mère vient de mourir, une voisine lui a donné une robe blanche ancienne comme vêtement funéraire. Au bord d’un trou d’eau, aux abords du village elle commence, comme un jeu, à se laisser rouler sur la pente. Lorsqu’elle remonte pour recommencer le jeu, un paysan qui passe sur son tracteur ne répond pas à son geste d’interpellation. Un son de cloche d’église surgit lorsqu’elle retourne à son jeu. À nouveau seule, elle recommence son jeu de roulade, son corps arrêté tout près de l’eau par des arbustes.

Elle remonte alors la pente pour recommencer une troisième fois son jeu de vertige. Rien ne permet de distinguer dans cette troisième version du jeu une volonté de suicide. Bresson, cette fois-ci, ne filme pas l’arrivée de Mouchette au bas de la pente : dans le plan du bord de l’eau Mouchette a disparu pendant que les ronds dans l’eau nous suggèrent qu’elle s’est noyée. Contrairement à ce qui se passe pour Edmund, que l’on voit choisir délibérément de se jeter dans le vide, on ne saura jamais chez Bresson si c’est juste un jeu qui a accidentellement mal tourné ou si Mouchette s’est volontairement jetée à l’eau pour mourir. Ou alors si le jeu, commencé comme un vrai jeu, lui a donné en cours de route l’idée d’en finir avec sa dure vie sans enfance possible.