Les scènes de repas sont très fréquentes au cinéma, et complexes à tourner, en terme de mise en scène (nombreux convives, difficiles à embrasser dans un même plan, choix des axes). Il arrive souvent que ces scènes soient un prétexte, que les acteurs fassent semblant de manger. Ici Pialat filme, dans la durée (la séquence dure en tout 9 minutes) un vrai repas, faisant entrer du vivant et du réel par ce simple fait : les acteurs, comme les personnages mangent réellement. Par le choix du décor et du lieu, (la cour du pavillon), celui des huîtres dégustées par les acteurs, tâche délicate nécessitant un minimum de concentration, il décentre l’enjeu psychologique et fictionnel de la scène : Nelly (Isabelle Huppert) est enceinte de Loulou (Depardieu), un voyou qui vit d’expédients : au cours du repas elle découvre sa famille et son milieu, bien loin de l’univers cossu dont elle est issue ; le doute s’instille alors en elle quant à leur avenir. Les plats passent, manquent de se renverser, au milieu des conversations qu’on peine à suivre, il est question du citron, du vinaigre, des sensations (« ça pique »), on entend le bruit des couverts et de la vaisselle qui s’entrechoquent. Cependant si par ce seul acte de manger, les gestes des personnages et des acteurs se confondent et les obligent à improviser et adapter leur jeu (Isabelle Huppert/Nelly qui manque de s’étouffer, tousse), ils n’en oublient pas l’enjeu fictionnel, qui surgit progressivement dans leurs échanges : avec l’arrivée de cet enfant, Loulou va-t-il se résoudre à travailler ? La caméra est en alerte, anticipe l’imprévu et l’accueille. Ainsi le chien qui, dès le début de la scène, rôde autour de la table est à l’origine d’un incident totalement imprévisible et décisif : il se met à courir après une poule dans la cour, la caméra suit le mouvement, tandis que Depardieu/Loulou, dans un même mouvement improvisé, se lance à sa poursuite. C’est cette prise que Pialat décide de garder, qui rend d’autant plus poignant le décalage qui s’installe entre Nelly et les autres convives : distraits par l’incident et tout à leur amusement, ces derniers, à l’inverse des spectateurs, ne voient pas la profonde mélancolie s’emparer de son visage.
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Les scènes de repas sont très fréquentes au cinéma, et complexes à tourner, en terme de mise en scène (nombreux convives, difficiles à embrasser dans un même plan, choix des axes). Il arrive souvent que ces scènes soient un prétexte, que les acteurs fassent semblant de manger. Ici Pialat filme, dans la durée (la séquence dure en tout 9 minutes) un vrai repas, faisant entrer du vivant et du réel par ce simple fait : les acteurs, comme les personnages mangent réellement. Par le choix du décor et du lieu, (la cour du pavillon), celui des huîtres dégustées par les acteurs, tâche délicate nécessitant un minimum de concentration, il décentre l’enjeu psychologique et fictionnel de la scène : Nelly (Isabelle Huppert) est enceinte de Loulou (Depardieu), un voyou qui vit d’expédients : au cours du repas elle découvre sa famille et son milieu, bien loin de l’univers cossu dont elle est issue ; le doute s’instille alors en elle quant à leur avenir. Les plats passent, manquent de se renverser, au milieu des conversations qu’on peine à suivre, il est question du citron, du vinaigre, des sensations (« ça pique »), on entend le bruit des couverts et de la vaisselle qui s’entrechoquent. Cependant si par ce seul acte de manger, les gestes des personnages et des acteurs se confondent et les obligent à improviser et adapter leur jeu (Isabelle Huppert/Nelly qui manque de s’étouffer, tousse), ils n’en oublient pas l’enjeu fictionnel, qui surgit progressivement dans leurs échanges : avec l’arrivée de cet enfant, Loulou va-t-il se résoudre à travailler ? La caméra est en alerte, anticipe l’imprévu et l’accueille. Ainsi le chien qui, dès le début de la scène, rôde autour de la table est à l’origine d’un incident totalement imprévisible et décisif : il se met à courir après une poule dans la cour, la caméra suit le mouvement, tandis que Depardieu/Loulou, dans un même mouvement improvisé, se lance à sa poursuite. C’est cette prise que Pialat décide de garder, qui rend d’autant plus poignant le décalage qui s’installe entre Nelly et les autres convives : distraits par l’incident et tout à leur amusement, ces derniers, à l’inverse des spectateurs, ne voient pas la profonde mélancolie s’emparer de son visage.