Les 400 coups

François Truffaut, France, 1959

Commentaire

On assiste ici à une scène étrange : on voit Antoine et son ami René, héros du film, accompagner une petite fille, inconnue à nos yeux et sur laquelle nous n’aurons ensuite aucune information, à un spectacle de guignol. Puis le réalisateur semble totalement abandonner à la fois la fiction et ses protagonistes principaux pour nous immerger au coeur du spectacle de marionnettes. Alternant les plans du spectacle lui-même, et des plans sur les visages des enfants absorbés, il interrompt sa fiction pour un petit documentaire sur les effets du spectacle sur les enfants : ceux-ci ignorent qu’ils sont filmés, ou n’y prêtent guère attention. La caméra isole des groupes d’enfants, et nous fait partager leurs émotions (jubilation, peur…) nous faisant presque oublier l’enjeu du film, tant nous sommes captivés par l’expression de leurs visages, leurs mimiques, leurs cris. Le retour à la fiction s’opère par le biais de plans rapprochés sur Antoine et René, qui regardent distraitement le spectacle mais y semblent indifférents, absorbés par leur conversation et leur principale préoccupation: trouver de l’argent. Le dispositif mis ici en place par Truffaut qui établit une coexistence directe entre le réel et la fiction, n’est pas gratuit. La juxtaposition entre la réaction des deux personnages, et celle des enfants, qui eux ne jouent pas et sont en totale communion avec le réel (celui du spectacle) met en évidence le tragique décalage qui existe entre deux réalités : d’une part celle des deux adolescents, trop grands pour le spectacle, mais trop jeunes pour être adultes et qui prennent, en toute insouciance une décision grave qui va faire basculer leur destin : celle de voler la machine à écrire ; de l’autre, celle des enfants, totalement fascinés par l’enchantement du spectacle, et qui éprouvent une terreur bien réelle, face à un loup de chiffon.