Comme Johan Van Der Keuken dans L’enfant aveugle (voir extrait plus haut), Nicolas Philibert filme des enfants privés d’un sens primordial dans leur patient apprentissage. Mais ici il ne cherche pas à restituer, ou à faire ressentir l’expérience de la surdité. Ce qui l’intéresse c’est la façon dont, à partir de ce manque, et avec l’aide des éducateurs, ils inventent un langage singulier, qui leur est propre, pour communiquer.
Sur l’écran un enfant râcle sa gorge. Il suit les indications de son orthophoniste, la vibration de la gorge, la pression du doigt sur la glotte remplacent le son. Une fois l’objectif atteint, l’élève détourne l’expérience en produisant, pour son propre plaisir, des grondements. L’exercice d’apprentissage, en quelques secondes, se transforme en jeu.
Dans toute la séquence, le réalisateur filme l’inventivité, le caractère singulier et chorégraphique des gestes de la langue des signes. Il choisit pour cela des cadres fixes, précis, à hauteur des enfants. Il ne peut ni se trouver en face d’eux, à la place de l’enseignant, ni derrière, ou trop loin. Florent, casque sur les oreilles, doit répéter ce que l’orthophoniste lui dit dans un micro. Davantage encore que la gestuelle ou le toucher, importants dans le 1er exercice ; ici c’est le regard, la vue qui sont au centre du processus d’apprentissage. Au début nous entendons distinctement l’enseignante l’appeler par son prénom, mais lui semble douter, il cligne des yeux. La caméra se décentre légèrement pour faire apparaître en amorce l’enseignante qui l’encourage et le relance : jusqu’à la fin de la séquence le garçon ne la quitte pas ses yeux et ils semblent reliés par un fil invisible, inventant leurs propres codes pour avancer ensemble, comme deux équilibristes sur le fil du rasoir. Il est difficile pour le réalisateur d’interrompre ces moments, de même qu’il exclut le champ contrechamp qui pourrait rompre la tension , l’intensité de leur progression conjointe, jusqu’à la fin de l’exercice qui sonne alors pour Florent comme une petite victoire.
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Comme Johan Van Der Keuken dans L’enfant aveugle (voir extrait plus haut), Nicolas Philibert filme des enfants privés d’un sens primordial dans leur patient apprentissage. Mais ici il ne cherche pas à restituer, ou à faire ressentir l’expérience de la surdité. Ce qui l’intéresse c’est la façon dont, à partir de ce manque, et avec l’aide des éducateurs, ils inventent un langage singulier, qui leur est propre, pour communiquer.
Sur l’écran un enfant râcle sa gorge. Il suit les indications de son orthophoniste, la vibration de la gorge, la pression du doigt sur la glotte remplacent le son. Une fois l’objectif atteint, l’élève détourne l’expérience en produisant, pour son propre plaisir, des grondements. L’exercice d’apprentissage, en quelques secondes, se transforme en jeu.
Dans toute la séquence, le réalisateur filme l’inventivité, le caractère singulier et chorégraphique des gestes de la langue des signes. Il choisit pour cela des cadres fixes, précis, à hauteur des enfants. Il ne peut ni se trouver en face d’eux, à la place de l’enseignant, ni derrière, ou trop loin. Florent, casque sur les oreilles, doit répéter ce que l’orthophoniste lui dit dans un micro. Davantage encore que la gestuelle ou le toucher, importants dans le 1er exercice ; ici c’est le regard, la vue qui sont au centre du processus d’apprentissage. Au début nous entendons distinctement l’enseignante l’appeler par son prénom, mais lui semble douter, il cligne des yeux. La caméra se décentre légèrement pour faire apparaître en amorce l’enseignante qui l’encourage et le relance : jusqu’à la fin de la séquence le garçon ne la quitte pas ses yeux et ils semblent reliés par un fil invisible, inventant leurs propres codes pour avancer ensemble, comme deux équilibristes sur le fil du rasoir. Il est difficile pour le réalisateur d’interrompre ces moments, de même qu’il exclut le champ contrechamp qui pourrait rompre la tension , l’intensité de leur progression conjointe, jusqu’à la fin de l’exercice qui sonne alors pour Florent comme une petite victoire.