L'enfance nue

Maurice Pialat, France, 1968

Commentaire

François, le gamin ballotté de famille d’accueil en famille d’accueil, a été recueilli par Pépère et Mémère, chez qui vit déjà un autre garçon plus grand. Pialat met ici en place un dispositif qui se trouve au coeur de nombre de ses films : la confrontation avec des personnages qui jouent leur propre rôle : les deux enfants qui jouent les enfants adoptés interviewent le couple qui jouent leurs parents d’accueil. Si les questions sont en partie guidées, les réponses des adultes, qui racontent leur propre histoire, ne sont pas écrites. La caméra enregistre également l’impact des paroles sur les enfants qui les écoutent, en contrechamp. Les décors sont aussi très importants : le tournage a lieu dans leur propre cuisine, et dans leur salon, au milieu de leurs photos de famille. Leur histoire intime, et grave se dévoile (il est question d’amour mais aussi d’un chagrin d’enfant) ; puis la Grande Histoire : à travers celle de Pépère, héros de la Résistance. C’est alors l’acteur qui joue François qui semble susciter, par ses questions, le récit de Pépère : la scène semble avoir été saisie dans une seule et même prise sonore (on entend hors champ des bruits de vaisselle provenant de la cuisine et Mémère qui chantonne). A la fin de la séquence, François, dans un élan de tendresse qui semble improvisé, embrasse Pépère. Ce dernier, visiblement touché, lui rend son baiser, regarde la caméra, attendant qu’elle s’arrête, mais Pialat continue de tourner pour saisir son trouble, l’hésitation qui gagne ses gestes. Ce dispositif d’interview en improvisation guidée témoigne de la confiance qui a pu s’instaurer entre le réalisateur et les « acteurs », et du temps qu’il a sans doute pris pour faire ces prises. Ces récits, tragiques, débordent les personnages et mettent à nu les acteurs, faisant naître chez le spectateur une émotion en miroir de celle, bien réelle et impossible à simuler, des protagonistes de la scène.