Bleu

Krzysztof Kieślowski, Pologne, France, Suisse, 1993

Commentaire

Julie a perdu son enfant et son mari, un célèbre compositeur, dans un accident de voiture. Pour reconstruire sa vie, elle s’est résolue à rompre tout lien avec son passé. Au début de l’extrait, prostrée devant son bureau, dans une chambre aux tons froids plongée dans une semi obscurité, elle apparaît figée comme une statue. Brusquement elle s’empare au téléphone : au bout du fil, un ami de son mari qui l’a aidée au tout début de son deuil et est devenu, le temps d’une nuit, son amant ; avant qu’elle ne disparaisse. La voix ferme et rassurante de l’amant envahit tout l’espace de la chambre et tout le champ sonore, le spectateur entre immédiatement dans la connexion intime qui s’établit avec Julie. Son doigt se pose sur une partition, qu’elle commence à parcourir, c’est une pièce de son mari, un concerto inachevé. Immédiatement, au contact du doigt sur la partition, la musique du concerto retentit, un choeur dont le chant s’élève au rythme de la caméra qui monte lentement et flotte littéralement au-dessus de la scène : Julie se lève et disparaît derrière le lustre bleu, le seul objet qu’elle avait gardé de son ancienne vie, et dont la couleur diffuse envahit bientôt l’écran. L’émotion provoquée par cette vision abstraite (Le lustre n’est pas identifiable, il apparaît comme un halo diffus) et la musique, qui recouvre toute la séquence, et dont la source est extérieure à ce que peut vivre ou entendre le personnage, opère une déconnection du récit : les sensations sont directement adressées au spectateur. Le chant puissant du chœur retentit tandis qu’il est plongé dans le noir, le temps d’une ellipse durant laquelle Julie rejoint l’homme. Au plan suivant, un plan rapproché de Julie, qui fait l’amour avec son amant, pleure. L’envolée inaugurée par le morceau de musique unifie toute la séquence, tandis que le personnage bascule dans une autre vie. Le spectateur qui a accompagné le personnage toute la durée du film assiste à l’envol et à la libération finale de Julie, qui s’arrache à son deuil.