Anticipation of the Night

Anticipation of the Night

Stan Brakhage, Etats-Unis, 1958

Commentaire

Dans cet extrait, nul point de repère pour le spectateur, visuel, narratif ou même sonore, le film étant entièrement muet. A l’écran une succession d’images qui s’entrechoquent de manière en apparence aléatoire : plans sur des feuillages, ombres portées, scintillement des lumières urbaines dans la nuit… les mouvements sont rapides :  la caméra attrape au vol la cime des arbres qui défilent ou un paysage de hameau. Le travail sur le montage met en évidence la récurrence de motifs : une fenêtre qui s’ouvre et se ferme, le verrou d’une porte, les arbres, le ciel. Le jeu de contrastes entre les lumières, jour/nuit, les couleurs : orange/ bleu/noir, crée un effet kaléidoscopique, caractéristique de certains courants du cinéma expérimental, très présent dès l’origine du cinéma. L’image est brouillée, créant un effet visuel à la fois inconfortable et hypnotique : les images nous parviennent en nous donnant parfois l’impression d’avoir du mal à faire « le point », bien que nous puissions identifier leur nature ; reconnaissant les impressions et sensations fugaces éprouvées lors d’un voyage en train, ou un voyage en voiture au crépuscule. A qui appartiennent ces sensations ? d’où émanent-elles ? elles semblent ne correspondre à aucun foyer identifiable .Cependant le spectateur, immergé dans ce flot d’images qui se succèdent se laisse gagner par leur rythme éffrené. Gagné par leur effet hypnotique, il est comme un enfant immobile plongé dans son berceau qui déchiffre le monde qui l’entoure, et qu’il reçoit par bribes visuelles sur lesquelles il lui est encore impossible de mettre un nom…La matière même de l’image, liée à l’utilisation de la pellicule participe à cette sensualité palpable tout au long de l’extrait, notamment dans ce plan sur l ’ombre de la main qui glisse sur le mur, comme si elle pouvait matériellement effleurer les feuillages.

Ce qui permet d’établir un lien entre ces fragments en apparence disparates pourrait être cette silhouette qui passe dans le faisceau de lumière, rythmant la séquence de sa présence fantômatique et qui n’est autre que l’ombre du cinéaste lui-même, affirmant ainsi, par sa présence au cœur du film et à l’instar d’autres après lui (voir extrait de Jonas Mekas : Walden), le primat du subjectif dans ce cinéma de la sensation .