Cent ans après Louis Lumière, soixante réalisateurs de dix à dix-huit ans ont appuyé pour la première fois sur le bouton d'une caméra, à Paris et au Havre, à Toulouse et à Lyon. Soixante minutes de cinéma composent ce film inaugural où la France de l'hiver 95 s'est inscrite sur pellicule avec soixante battements de cœur d'une inoubliable première fois.
DispositifLe film Jeunes lumières a été réalisé par plus de trois cents jeunes de 10 à 18 ans qui, après avoir découvert sur grand écran les films des frères et des opérateurs Lumière, après s'être durablement imprégnés de leur esprit et de leur dispositif, sont à leur tour partis au Havre, à Lyon, à Paris, à Toulouse (ainsi que dans les villes et collectivités environnantes) filmer un lieu de leur choix. Accompagnés à chaque fois par un professionnel du cinéma et un de leurs enseignants. Générique
JEUNES LUMIERES (France, 1995) • 60 minutes extraites des 350 minutes tournées par des élèves des académies de Paris, Lyon, Rouen et Toulouse avec l’aide de leurs enseignants et de 18 réalisateurs tutélaires • Un film composé par Nathalie Bourgeois • Montage : Valérie Loiseleux • Production : Le Cinéma, cent ans de jeunesse et Agat Films et Cie. Réalisateurs tutélaires : Partenaires culturels et établissements scolaires : |
Extraits de Jeunes lumières © Le Cinéma, cent ans de jeunesse et Agat Films et Cie. |
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Jeunes lumières« Le cinéma est toujours jeune quand il repart vraiment du geste qui l'a fondé, de ses origines. Quand quelqu'un prend une caméra et se met face au réel pour une minute, dans un cadre fixe, en état d'extrême attention à tout ce qui va advenir, en retenant son souffle devant ce qu'il y a de sacré et d'irrémédiable dans le fait qu'une pellicule chimique tourne dans une caméra et capte la fragilité d'un instant, avec le sentiment violent que cette minute est unique et ne se reproduira jamais plus dans le cours des temps, le cinéma renaît pour celui-là comme au premier jour où une caméra a tourné. Quand on est dans ce qu'il y a de natif dans l'acte cinématographique, on est toujours le premier cinéaste, de Louis Lumière à un jeune homme ou une jeune fille d'aujourd'hui. C'est peut-être l'essentiel du cinéma qu'ont découvert ceux qui ont fait ce film : que faire un plan c'est déjà être au cœur de l'acte cinématographique, qu'il y a dans l'acte brut de capter une minute du monde toute la puissance du cinéma, et surtout cette conviction en retour, en découvrant plusieurs jours après les plans développés, que tout le monde est toujours surprenant, jamais tout à fait comme on l'attend ou le prévoit, qu'il a souvent plus d'imagination que le cinéaste, et que le cinéma c'est toujours plus fort que celui qui le fait. » Alain Bergala, 1995 |
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Pas innocents, juste sincères…Quand on a su qu’on devait choisir une minute de réel, on est tous devenus l’Ecclésiaste, on était rois et on s’est dit : « Toutes choses sont toujours en mouvement personne n’est capable d’en rendre compte. L’œil n’en a jamais assez de voir ni l’oreille ne se lasse d’entendre1. » liberté égalité fraternité On avait le choix, dans les mêmes conditions et on était ensemble. Lili Hinstin, élève de terminale, lycée Georges Duruy, Paris, 1995 |
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Quelle « Lumière » sur Lyon ?En 1895, LOUIS LUMIERE et ses opérateurs décident d’abord de filmer leur ville : un Lyon fin-de-siècle qui s’ouvre alors sur l’avenir du monde. En 1995, des « jeunes » Lumière, enfants d’un art désormais centenaire, s’emparent à nouveau d’une caméra (Super 8 en l’occurrence, format en instance de disparition) pour promener sur la ville un autre regard, identique et différent à la fois. Thierry Frémaux, directeur artistique de l’Institut Lumière à Lyon, partenaire, 1995 |
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La minuteD’abord le lieu commun : une minute, c’est court, mais c’est aussi très long. C’est court : ce n’est pas un film. C’est long au regard des « plans » syncopés des jeux vidéo. Il faut en passer par l’expérience du chronomètre, du temps des horloges. La minute de silence, les yeux fermés ou rivés sur la course de l’aiguille et chacun renvoyé au cœur de lui-même. Béatrice de Pastre, Cinémathèque Robert Lynen à Paris, partenaire, 1995 |
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La surprise du plan ou la part de risqueLa principale tension vient alors qu’on leur demande une minute si personnelle, si intime parfois. Quelque chose d’une première fois où ils verront une minute de leur mémoire inscrite à l’écran. Comme un palimpseste où la vérité du plan viendra se superposer sur leur désir d’image. Reconnaîtront-ils cette minute comme la leur ? Ils attendent de l’impression de ce moment, non seulement le filmage de ce qu’ils ont vu, mais aussi de ce qu’ils ont pensé très fort durant la minute longuement préparée. Comme si le cinéma par son parcours de recherche, son lent procédé physique et chimique allait révéler un quelconque secret. Le silence du plan. Ce silence-là demandé par l’enfant réalisateur ne sera pas comme les autres. Le silence plateau deviendra, durant une minute, d’une extrême concentration. Et, pour cette raison, dans la plupart des petits films réalisés. On y entend et on y voit du muet dans leurs plans sonores comme on percevait du sonore chez Lumière. Le suspense du plan. Très vite ces jeunes cinéastes ont découvert un autre rapport au temps. Tout semble prêt pour le cinéma et, quand le moteur se met à tourner, c’est le point de non-retour. La règle devra alors être respectée : une minute continue en plan fixe. Les spectateurs sortiront ils du cinéma à temps ? François Bureau, partenaire culturel, Théâtre d’Evreux-Scène Nationale, 1995 |
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Entretien avec Manoel de OliveiraManoel de Oliveira revient sur le film Jeunes lumières qu’il a découvert avec enthousiasme au Festival de Cannes 1995 : MO – Je me souviens du plan d’une porte qui s’ouvre et se ferme, qui revient toujours au même reflet (Bred), c’est un choix très heureux, naïf mais en même temps riche. Ce film ne s’est pas fait comme au début du cinéma, comme Lumière, sans savoir ce qu’est le cinéma. Aujourd’hui nous le savons, il y a une longue expérience de 100 années. Après tout cela, retourner à une naïveté, c’est très bien. Un autre moment, malicieux, c’est la statue nue qu’on voit de dos (Rodin), et les gens surpris par quelque chose de très naturel, que tout le monde connaît… et aussi le supermarché avec les charriots vides, que l’on voit d’habitude toujours pleins : ils entrent mais cela donne l’impression qu’ils sortent du magasin vides, c’est intéressant… - Une spectatrice a réagi en trouvant que ce film était triste, que dans l’ensemble les enfants avaient filmé des choses sinistres… - Non, ce n’est pas triste ! On peut y mettre de la tristesse ou de la joie, selon chacun. C’est le monde que voient les enfants… C’est étonnant, et ces choses sont très bien filmées, cela m’a beaucoup surpris. Cela s’approche d’un cinéma plus épuré comme Godard ou Straub ! Mais eux sont rationnels alors que les enfants le font par intuition naturelle, instinctive. - Mais on ne peut pas dire que ça leur a échappé… - Non, c’est un regard. - Les spectateurs disent aussi que tel plan leur fait penser à tel cinéaste. - C’est fatal. Parce que le film est filmé sur terre, pas dans la lune, et nous somme sur la terre (rires) ! C’est la vie tout ça, ça commence à Lumière, et ça continue, à travers tous les réalisateurs. Moi même quand j’ai fait mon premier film de fiction Aniki Bobo, j’ai vu ensuite des vieux films américains et j’ai découvert que ce que j’avais fait venait de là, je suis sorti du cinéma avec une espèce de honte… Mais c’est moi qui ai réalisé ce film, personne d’autre ! Le cinéma reflète la vie, et nous avons une connaissance de la vie et du cinéma. - Lorsque les élèves voyaient leurs minutes Lumière projetées en super 8, souvent ils trouvaient ça nul, ou alors ils disaient « mais je n’ai pas filmé ça ! » Ainsi l’un d’eux raconte qu’il a tourné sa minute, avec une voiture au centre de son plan, en espérant qu’elle bouge. En vain. Et il dit « quand j’ai vu le film, j’ai trouvé que c’était ce qu’il y avait de plus intéressant, que cette voiture ne bouge pas ». - Oui, on attend qu’elle parte, mais elle ne part pas… Il y a aussi un film sur une porte, on attend que quelqu’un entre ou sorte, mais il ne se passe rien pendant longtemps, on espère. C’est bien. Il y a quelque chose derrière la porte, on ne le voit pas, mais on pressent qu’il y a quelque chose… J’ai beaucoup aimé ce film, je ne m’y attendais pas… C’est un film qui part des enfants, il n’est pas pour les enfants mais il est très instructif : il y a beaucoup de psychologie et même de parapsychologie. Pourquoi ? Les enfants vont instinctivement vers ce qui les dépasse. C’est Spinoza - un philosophe juif portugais – qui a dit : il y a des forces que nous ignorons qui mènent nos impulsions et nous nous croyons libres ! C’est la parapsychologie ! (rires). Extraits de l’entretien réalisé aux studios de Joinville en avril 1996, par Nathalie Bourgeois et Valérie Loiseleux. |
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Soixante vues de l'hexagone« Jeunes lumières instaure ainsi une temporalité qui joue sur deux tableaux : d’un côté la ligne mélodique du film dans son ensemble, de l’autre un rapport à chaque plan fait d’une tension et une attention accrues. Après quelques minutes, le spectateur s’habitue aux règles du ce jeu du plan fixe et bref, et guette dans les recoins du cadre des mini-miracles, des "grains de sable" qui viendraient perturber le dispositif du filmage… » Pierre-Olivier Toulza, Cahiers du cinéma n° 494, septembre 1995 |